du Mandarin Quôc à son père : Cité Pourpre Interdite, le 3 novembre 1936


Seigneur,

Quand vous lirez cette missive, je ne serai plus de ce monde. J’ai ôté ce matin mes effets de mandarin en signe de rébellion, je me suis rasé la tête pour accomplir le suicide de protestation.
Je m’immolerai devant la Porte du Midi avant le coucher du soleil. Il est plus digne de mourir debout que de vivre à genoux. Je ne veux me courber ni me prosterner face contre terre devant un empereur que les Français ont choisi comme un chiot parmi une portée.
Je ne veux faire corps avec un mandarinat qui s’adonne à la prévarication servile en intelligence avec le colonisateur. Je ne veux flagorner ces Blancs, avec obséquiosité, par crainte de recevoir un jour un coup de botte sans pouvoir jamais réclamer justice. Je ne veux recevoir d’ordre d’eux. Je me lève et je refuse de me soumettre à ceux qui pillent nos biens, agressent nos âmes et humilient notre culture.

Bas les masques et arrêtons les faux-nez !

Seraient-ils là pour nous civiliser au nom d’une soi-disant supériorité raciale, au nom des idéaux de la Révolution française ?
Ils ne valent pas plus que les patriciens grecs qui, jadis, pour maintenir la démocratie à l’intérieur de la Cité d’Athènes, rapinaient les terres étrangères. Ils imposent à nos paysans la gabelle par capitation, ces fils du siècle des Lumières ont la mémoire courte.
Les alvéoles de nos rizières, immuables depuis des temps immémoriaux, sont expropriées avec une sauvage brutalité contre de la monnaie de singe et refondues en d’immenses latifundia pour nous subjuguer par une famine contrôlée. Le riz qu’ils nous ôtent de la bouche sert à nourrir les peuples d’Afrique noire qui, à leur tour, voient leurs terres agricoles détournées à des fins industrielles. Ils asservissent des dizaines de milliers d’âmes pour sucer et mettre à sac nos terres, nos plantations et nos forêts pour un salaire journalier de cinq piastres. Pour parachever le tout, ils légalisent le commerce de l’opium pour mieux crétiniser notre nation.
Nous sommes mis en coupe de toute part, on nous débite impunément comme un cochon dont aucune parcelle de la carcasse n’est oubliée.

Ma foi m’interdit toute violence. Je suis impuissant car je n’ai pas de réponse. Je suis humilié et je me révolte par le feu, juste pour dire non.
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