de Sœur Madeleine à l’évêque de Saigon : Mission apostolique de Dalat, le 11 novembre 1970





Monseigneur,

    Au nom de Dieu Tout-Puissant, je vous appelle à l’aide. J’ai besoin de pochettes de sang de transfusion, d’eau potable, de nourriture, en toute urgence. Le garçon, porteur de cette missive, vous remettra aussi la Croix d’Or de la Sainte Chapelle de Dalat pour que vous puissiez acheter tout le nécessaire.
La Mission déborde de civils blessés par des mines antipersonnelles, et je suffoque quand il s’agit d’enfants. Les mines mutilent, sans distinction, en tuant à petit feu. Elles nous interdisent l’accès aux puits d’eau et aux terres cultivables. Chaque heure avançant, des cas de dysenterie et de malnutrition apparaissent. Les jarres d’eau de pluie tarissent à vue d’œil, et le potager de la paroisse ne peut suffire aux besoins alimentaires de tous, nous avons dû abattre notre dernière vache pour nous nourrir. J’ai besoin d’un démineur pour sécuriser le périmètre de la Mission. L’horreur, les mines viennent désormais du ciel, les Américains les larguent aveuglément par des missiles conteneurs qui, à leur tour, saupoudrent sur un nombre incalculable d’hectares leur semence de mort. Et dans la surenchère de la cruauté qui n’a plus de nom pour la désigner, les mines ont la même couleur jaune que celle des sachets de ravitaillement parachutés, sur lesquels les enfants se précipitent comme sur des jouets.

J’ai besoin aussi d’un chirurgien aguerri aux amputations et qui ait le cœur bien accroché. Les mines à effet de souffle arrachent les jambes et les parties génitales et elles endommagent profondément les tissus. Le père Dominique qui m’assiste, et dont je salue l’extrême dévouement, est pédiatre. Il ne peut se résoudre à amputer les membres gangrenés des victimes.
Les mines mutilent, non seulement les corps, mais aussi les âmes. Comment retrouver foi en la vie quand le corps est déchiré ? Comment cohabiter avec autrui quand la dépendance est vécue comme une humiliation ? Quelle confiance en soi reste-t-il lorsque l’avenir n’est plus que songe ? Je pense aux enfants mutilés qui ne pourront jamais courir, jouer au ballon, je ne vois plus l’innocence ni la lumière dans leurs yeux. Je pleure de toutes les larmes de mon corps.
Que soit implacable le courroux du Seigneur sur ceux qui ont ourdi une telle abjection, une si lâche monstruosité ! Venez à mon secours, Monseigneur, venez à notre secours ! Vous êtes notre dernier espoir.
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