de Kim à Madame Thanh : Centre médical de Nha Trang, le 30 juillet 1979


Madame la Ministre,

Je vous transmets ci-joint l’étude que vous m’aviez commanditée sur l’impact de l’agent orange dans le corps humain.

L’agent orange contient de la dioxine sous la classification de l’acide trichloro-phénoxy-acétique (2,3,7,8-TCDD ou 2,4,5-T), poison puissant, mille fois plus toxique que le plus puissant des poisons trouvés dans la nature. La particularité de ce produit hautement nocif est sa persistance, il conserve pleinement son empreinte chimique même après une incinération prolongée. Je crains que la résorption de ce produit dans la nature nous prendra, selon mes calculs, quatre-vingt-dix ans, soit trois générations, pour qu’il redescende sous un seuil acceptable. Les Américains ont épandu sur notre pays plus de quatre-vingt millions de litres sur un territoire de plus de deux millions d’hectares, soit le huitième de la surface du Sud Vietnam. La grande guerre est finie depuis quatre ans, mais malheureusement la paix ne sera pas encore là pour un certain nombre de familles.

L’étude montre que le taux de dioxine décroît extraordinairement dans le lait maternel mais un reliquat est transmis à l’enfant. Nous avons étudié en laboratoire ce transfert sur un échantillon du tissu hépatique d’un fœtus mort. Les résultats montrent bel et bien que la dioxine, même à dose infinitésimale, traverse le placenta pour attaquer le fœtus. Ce dernier est donc littéralement contaminé dans l’utérus de la mère. Les enfants de la génération dioxine ont les yeux brillants de vie, la bouche écumeuse ; ils gisent, hoquettent à même le sol, tortillant leurs corps disloqué comme des pantins démantibulés, baignant dans leurs excréments. Autres conséquences corollaires qui sont décrites en détail dans l’étude, sont la chloracné, les maladies digestives aiguës, les troubles nerveux, les avortements spontanés, les malformations à la naissance liées à la mutation génétique des spermatozoïdes, les difformités monstrueuses et un affaiblissement généralisé du système immunitaire.

Je désire attirer votre attention sur une autre conséquence qui sort de mon domaine de compétence, l’abandon des enfants frappés par ce mal, en raison de la honte sociale et de la charge qu’ils représentent pour les familles pauvres ou de l’entrave que peut représenter une telle progéniture dans la vie urbaine. Madame, je vous prie instamment de prendre les mesures d’assistance sanitaire et sociale pour protéger ces enfants de cette double injustice.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de ma parfaite considération.
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