de Thiên Nga à Dao : Nha Trang, le 21 septembre 1954




Mon amour,

‘Qui peut savoir combien il y a de plants dans une rizière ? Combien de coudes dans une rivière ? Combien de strates dans un nuage ? Quelqu’un peut-il balayer les feuilles d’une forêt et dire au vent de ne plus secouer les arbres ? Combien de feuilles un ver à soie doit-il manger pour faire une robe aux couleurs du temps passé ? Combien de gouttes de pluie doivent-elles tomber du ciel avant que l’océan ne déborde de larmes ? Combien d’années la lune doit-elle attendre avant de devenir vieille ? Au milieu de la nuit, la lune se lève et attend tout près.’ Pour celui qui peut voler mon cœur, je chanterai à jamais les chants de joie ». 

Je pense à toi. Ce chant s’élève en moi et je ne sais retenir mes larmes. Je regarde la mer et soudain mon cœur chavire dans le cri infini d’un pétrel. Par la mer, j’attends, j’espère ta venue dans un impossible et fol espoir, comme si mon rêve pouvait être si fort que le destin te rendra à moi.
Notre pays s’est sectionné en deux, Nord et Sud, telle une veine de sang que l’on coupe, une carte du monde que l’on déchire, pour s’engloutir dans la nuit d’une guerre fratricide. Mais c’est ma veine que l’on tranche et c’est mon corps que l’on déchire. Je vacille, je suffoque, je suis saisie d’effroi de ne plus trouver le chemin du retour, de savoir, impuissante, que désormais un océan de haine, de barbelés et de mines nous sépare. Mon corps est secoué de tressaillements, ma tête se cogne dans le couloir du désarroi. Je ne puis m’y résoudre, je me sens nue et désemparée. Je sais maintenant que je t’ai perdu. Mon sang se vide et j’ai la mort dans l’âme.

Je veux te crier, te hurler, de toute ma chair, de toute mon âme, l’amour que j’ai pour toi et je n’ai plus que les mots pour le vivre. A jamais, tu as mon allégeance et ma fidélité. Rien ne saura l’altérer ni le temps, ni la distance. La guerre nous a tout volé, mais jamais elle ne me prendra cela. Ton sourire, tes mains me manquent. Tu es mon souffle, tu es mes yeux, tu es ma boussole dans la nuit. Que vais-je devenir sans toi ?

Reste en vie, pour moi. Je te chercherai jusqu’à mon dernier souffle. Je veux te vivre encore une fois, ne serait-ce qu’un jour, le temps de tenir ta main. Je te confie mon amour et tout ce que je peux désirer pour toi de bien, de beau et de bon. Je connais maintenant la fragilité de ce matin dans le souffle des arbres, je frissonne un peu. Je chante ton nom et tu es à moi éternel.
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