de Dung à Kim : Hochiminh-ville, le 1er janvier 2000



Cousin,

                    Le soleil vient de franchir, il y a quelques minutes, les îles Tonga du Pacifique.
Nous sommes dans le troisième millénaire qui ferme un siècle de brume. Mains jointes, je fais un vœu pour l’Homme.

Nos vies ont été marquées au fer rouge de l’innommable. Les blessures sont à jamais indélébiles, incrustées dans nos chairs. Nous nous arc-boutons contre l’oubli pour ne pas être condamnés à revivre l’histoire. Mais le passé n’est plus qu’images en noir et blanc de pellicules flammes, reportages télévisés de vies offertes en holocauste que la jeunesse zappe, vieillards aux vareuses trop grandes radotant des souvenirs sur le seuil de leur maison en marge du tumulte de la vie. La mémoire finira par s’éteindre. Et c’est peut-être mieux ainsi !

La vie est égoïste, elle ne s’attarde plus avec hier, elle veut renaître légère, avide, insouciante, désirable. Elle a soif, elle a faim d’amour et de fraternité. Les anciens ennemis d’hier reviennent sur nos terres pour exorciser ce même mal qui les ferre. Ils sont comme nous des êtres de sang et de larmes. Ils cherchent leur innocence volée, ils arpentent une fois encore les routes du passé pour se réconcilier avec eux-mêmes, une pénitence intérieure pour une paix retrouvée au bout du voyage.
On les toise, de loin, avec gêne et appréhension. On se dévisage, hébété d’être face à face, à nouveau, vingt-cinq ans après. Une main se tend. L’impossible est possible. Une poignée de mains se soude, la peur vite éclusée, on rit beaucoup. Puis on questionne. Quel est votre nom ? Restez-vous longtemps au Vietnam ? On propose une cigarette, la Marlboro de la paix que l’on fume ensemble, en se souriant, sans rien dire, assis à même le trottoir. On se rassure, avec une tape sur l’épaule, « toi, moi, plus jamais pan pan ! ». En paix, nous regardons l’interminable noria des bicyclettes qui s’entremêle, sans commencement ni fin, sur la grande avenue. Le temps s’écoule à nouveau.

On peut imaginer comme John Lennon un monde où les hommes vivent au présent, côte à côte, en fraternité, unis sous un même ciel, sans haine ni avidité. Plus de pays, plus de frontières. Rien à tuer, aucune raison pour mourir. Nous, tous, citoyens du monde, frères du même sang, particules insécables d’un même univers qu’aucune discorde ne saura séparer.

Oui, imagine-le, le temps d’une minute, hume-le, le temps d’une heure, puis vis-le durant un jour. Il naît, se propage en nous comme une réalité.

Imagine que le rêve existe !
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