de John Walker à Dieu : Washington, le 4 juillet 1994




Écoute-moi,

On l’appelle « le Mur », il y a 58 000 noms, c’est le Mémorial de la Guerre du Vietnam. 23e stèle de granit de Bangalore, 27e ligne: WALKER John, Capitaine, né le 17 février 1938, dans l’Iowa, porté disparu.

Mon nom était inscrit en lettres dorées. Etait-ce mon visage qui miroitait sur ce mur noir poli ou l’ombre d’un revenant ? Les saules verdoyants de ce jardin reflétaient leurs lentes ondulations. Étais-je mort pour renaître quelque part entre limbes et purgatoire ? Un no man’s land entre paradis et enfer ? Je suis dans l’autre monde et les spectres sont toujours là. Mes songes suintent de sang, les suppliques de mes victimes martèlent la porte de mes cauchemars. Je me réveille chaque jour, englué par la sueur et la peur. Je me noie, je m’accroche à un fétu de paille. Je t’appelle, je te cherche, je n’entends plus ta voix.

Je voulais devenir un homme juste, je voulais faire triompher l’humain, je voulais grandir dans ta lumière, Que s’est-il passé cette nuit où j’ai basculé de l’autre côté du miroir ? J’ai servi Satan, chef des démons, prince des ténèbres.

Mon crime doit être puni et j’exige un châtiment.

Mais ton silence est de pierre. Pourquoi as-tu laissé la lame trancher la gorge de l’Innocence ? Pourquoi nous as-tu créés ? Pour que nous ne soyons que déchirure et souffrance ? Pourquoi toujours cette amnésie de l’homme devant tant de sang versé ? Toi qui écris le livre de la Vie, qui ordonne notre destinée, pourquoi ne nous laisses-tu pas tenter d’autres champs du possible ? Que gagnerons-nous à cet inlassable jeu de massacre depuis la nuit des temps où nul ne triomphe en fin de compte ? Y a-t-il vraiment une part de meilleur à acquérir dans l’arène du chaos ? Je suis ta créature pourtant. Serais-je une œuvre inachevée de la Création ? Peut-être que ton silence est une réponse…

Alors, moi, je suis là sur cette terre, imparfait, je tente d’exister avec mon inexpiable fardeau, je cherche des réponses dans les étoiles. Celui qui a tué, a-t-il encore le droit de donner un sens à sa vie ? Peut-il encore se mentir en se regardant dans le miroir chaque matin ? Je n’ai pas de réponse, je n’ai plus de réponse. Je doute et la vérité est finalement peut-être là. Je retourne vers mon fils Tao, il est ma rédemption, il est l’ange qui me dira la terre où je trouverai le pardon des hommes.

Je pends cette lettre à la branche d’un saule et le vent, lui, saura lire ma complainte.
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