de Tarann à Khoa : lettre en provenance du futur















Vous,

                 Savez-vous qu’en Occident votre prénom se prononce comme celui d’un souverain, je suis donc fier d’être votre héritier. J’ai découvert au fond d’une boîte à tabac en jade, une liasse de lettres. Je pensais qu’il s’agissait de lettres d’amour, mais non, c’était l’histoire de ma famille, enfin de ma famille asiatique. Je me suis assis, j’ai lu et relu ces destins enchevêtrés, meurtris par la guerre. Une pluie salée a inondé mon âme.

Je suis resté ainsi caché, pendant des heures interminables, jusqu’à ce que la douleur consente à s’envoler. Que dois-je faire de cet héritage ? Indochine, ma mère, m’a nourri de sa culture, de ces récits mythologiques infestés de bêtes fauves qui cohabitaient avec l'homme dans des cavernes profondes de la forêt mais jamais elle n’a dit mot de sa famille, comme si sa vie, perle polie, jaillissait de nulle part, d’aucun ensemble identifiable.

Vous ne pouvez imaginer à la lecture de ces lettres le triste chant de mon cœur. Je ne sais si j’écris à votre corps ou à votre mémoire. Je ne connais pas mon âge. Je découvre simplement, par cette correspondance, que je suis votre descendance.

J’ai tenté d’emprunter, maintes fois, après ces lectures, la route mandarine décrite par Thiên Nga et toujours je me suis retrouvé prisonnier du même Col des Nuages, face à la mer.
J’ai découvert que les hommes pourvus de chair n’avaient de cesse de se meurtrir et de meurtrir autrui, peut-être en fait ont-ils simplement peur d’exister en dehors de toute matérialité. Ils appellent leur plus grande crainte, la mort, mais ils ignorent tout de ce repos limpide.

J’ai ouvert cette boîte de jade sans mesurer les conséquences de mon acte. Une libellule s’en est même échappée ! Ses ailes avaient les reflets d’une aurore boréale, empruntant ses feux à l’aube et au crépuscule uniques à l’Asie. Je ressens depuis le même vertige, ces feuilles manuscrites ouvrent l’ultime voie de mon existence.
Je suis l’élément qui emprunte sa réalité à une philosophie paradoxale et quantique : j’existe et je n’existe pas. Je dois résister car, si je doute, je crée la faille qui peut mettre en péril un ensemble dans son cheminement vers la lumière.

Si tant est que cette ultime lettre vous parvienne.


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